Empreintes d'un conflit

SUBIR, BELFORT VILLE BOMBARDéE

« Contextualisation » enfant et bombardements


L’enfance, normalement éloignée et protégée des conflits, est plongée dans la première guerre mondiale. Les enfants subissent la guerre par le départ d’un père au front et/ou d’un autre membre de la famille. Environ un million d’enfants sont directement touchés par la perte d’un père tombé pour la Patrie (la France compte 600 000 veuves en 1918).
Tous ces orphelins poussent l’Etat à créer une « journée nationale des orphelins » en 1916 puis le statut de « Pupille de la nation » en juillet 1917.

La vie quotidienne des enfants est bouleversée par la guerre. A Belfort, les enfants sont évacués et parfois séparés de leur mère en tant que « bouches inutiles » dès le 4 août 1914, l’école est suspendue puis lorsque les cours reprennent, ceux-ci sont délocalisés dans des cafés ou au domicile des institutrices puisque la plupart des écoles de la cité du Lion sont transformées en hôpitaux. Parfois, les enfants remplacent le père pour les travaux des champs ou même à l’usine. La guerre est donc un violent traumatisme pour les enfants.

La mobilisation des enfants est aussi morale car les sujets de rédaction à l’école portent beaucoup sur la guerre, le courage des soldats et l’amour de la patrie. Ils doivent aussi rédiger des lettres pour soutenir les poilus au front, organiser des quêtes…

L’image des enfants est largement utilisée par la propagande française comme le montre l’épisode de l’enfant au fusil de bois.
Le 13 août 1914, à Romagny dans le territoire de Belfort, un enfant est tué à bout portant par un officier allemand parce qu’il avait osé le mettre en joue avec son fusil de bois. L’enfant devient ainsi un martyre de la barbarie allemande et symbole du patriotisme.
L’image de l’enfance est largement utilisée dans les cartes postales, ils sont montrés tour à tour comme des garçons patriotes et courageux prêts à prendre la relève (« graine de poilu ») ou espérant le retour du père ou du frère parti au front. D’autres prient pour le retour de l’être cher parti défendre la patrie. Des jeunes filles rendent hommage aux soldats (« des fleurs pour nos soldats »).
Autant d’images de propagande destinées à soutenir le moral de la population et montrer la mobilisation totale du pays.

Pour la première fois dans une guerre la population civile de l’arrière va être délibérément visée par les armes dans le but d’affaiblir par la peur le moral du pays.
Les enfants ne seront pas épargnés et lorsque Belfort sera la proie des bombardements, on les imagine facilement terrorisés par le bruit, les dégâts et même les pertes humaines.
En effet, la ville va être arrosée par 702 bombes, 17 civils vont y laisser la vie et 68 autres seront blessés.



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ANNIE GRANDJEAN
Née le 3 septembre 1904, à Belfort.

Je m’appelle Annie, j’ai 10 ans et je vais à l’école de Châteaudun dans le faubourg des Vosges.
Sur mon cahier j’écris à la plume les leçons de morale et d’instruction civique que notre institutrice nous fait chaque jour. Je fais aussi de l’histoire, de la géographie, du dessin, de la gymnastique et j’adore les cours de chant.
Avant la guerre, notre institutrice nous expliquait que Belfort était une ville héroïque car elle avait brillamment résisté aux assauts prussiens lors de la guerre de 1870-71. Dans mon livre de la petite histoire de la Franche-Comté d’André Lanier j’ai lu que « Belfort, défendu par le vaillant colonel Denfert avait résisté jusqu’au bout, malgré 73 jours de bombardements ; grâce à son héroïsme, la France a conservé un lambeau de l’Alsace ». Et ce bout d’Alsace c’est Belfort ! J’aime cette illustration avec le château et le Lion qui garde la ville.
Ma vie a changé le 2 août 1914 car ce jour-là mon père a été mobilisé pour aller combattre au front en Alsace, et ma meilleure amie a quitté la ville le 3 août, suite à l’arrêté du général Thévenet qui ordonne que : « toutes les personnes inutiles à la défense quitteront Belfort, soit par leur propres moyens par les voies ferrées encore utilisables, soit gratuitement par les trains d’évacuation des bouches inutiles. ». Elle m’a écrit depuis Gevingey dans le Jura où elle a trouvé refuge. Moi j’ai la chance de rester à Belfort car maman participe aux travaux de défense de la ville.
Le 3 septembre, trois bombes se sont écrasées sur Belfort, le bruit m’a terrifié. Drôle d’anniversaire que celui-là ! Je m’en souviendrai toute ma vie !

Avec la guerre, l’école a été suspendue puis rétablie par ordre du maire le 2 octobre 1914, mais je ne peux plus aller dans mon école de Châteaudun qui a été transformé en hôpital militaire. Notre institutrice nous fait les leçons au café Pellagaud du faubourg des Vosges.
Maman travaille comme ouvrière à l’usine de la SACM (Société Alsacienne de Construction Mécanique), elle fabrique des obus toute la journée. Moi je suis à l’école et j’attends qu’elle vienne me chercher le soir à l’étude. Notre institutrice a organisé dimanche dernier une œuvre de charité pour récolter des dons pour financer le chauffage et les appareil à gaz qui permettent de nous chauffer pendant l’étude.
Sur ma boîte de plumes il y a l’image d’un soldat qui me fait beaucoup penser à mon papa, j’ai hâte que la guerre se termine et qu’il revienne.
En 1917, les cours seront suspendus par manque de chauffage.